Ces articles sont avant tout destinés aux étudiants suivant l’atelier Podcast et écriture sonore du Master Médias & Créations numériques de l’université de Bourgogne.
L’idée ici est de se demander : d’où vient l’argent et comment peut-il finir dans ma poche pour que je puisse potentiellement manger et vivre dignement de mon savoir-faire.
Financement de la radio : un marché publicité en berne
La radio publique est financé par la redevance. Vous la payez si vous avez un téléviseur. C’est 138 euros par an dans l’hexagone, 89 dans les DOM TOM, ce n’est pas dégressif. Et ce n’est pas en phase avec la réalité actuelle, je regarde par exemple la télévision sur des applis mais je n’ai pas de télévision, donc je ne paie pas la redevance… Bilan 3,2 milliards d’euros. Cela finance toutes les chaînes de France Télévision (66%), Arte (7%), France Médias Monde (6%) (RFI, TV5 Monde, France 24…), l’INA (4%) et Radio France (16%). Pourquoi une taxe à part : pour que cela ne dépende pas des fluctuations des rentrées d’impôts et que les gouvernements successifs ne puissent pas à chaque vote du budget au parlement réduire d’un coup (en rétorsion par exemple) les finances.
Pour Radio France, cela représente 592,4 millions d’euros soit 86,4% de son budget (685 millions euros en 2019)
Les médias privés sont financés par la publicité. Pour Europe 1 son chiffre d’affaires est de 62 213 400,00 € en 2020. Pour RTL France c’était 72 441 700.00 €. Le budget des 330 radios privées est de 550 millions d’euros. Le budget publicitaire de toutes les radios (700 millions d’euros) a baissé de 28% dans les 15 dernières années. De plus, l’augmentation des audiences de la publicité sur le service publique a aboutit à une baisse encore plus importante des recettes des radios privées.
La richesse des Podcasts ? L’audience.
Paradoxalement, les investissements publicitaires dans les podcasts augmentent même s’ils restent très faibles (13,8 millions en 2019). Ces recettes augmentent d’environ 30% par an. Aux Etats-Unis, le budget publicitaire des podcasts a franchi le milliard de dollars en 2021 (ce qui reste dérisoire). Comment expliquer cela ?
Par l’augmentation de l’audience des podcasts : En septembre 2021, 136 millions de podcast ont été écoutés ou téléchargés selon Médiamétrie. Un tiers des Français de 18 à 64 ans écoutent des formats dits « natifs »
Les podcasts les plus téléchargés sont (toujours selon Médiamétrie) : Les Grosses têtes : 13,8 millions, L’After Foot 13,3, Hondelatte raconte : 7, Par Jupier ! 5,8 , Affaires Sensibles 4,9, Super Moscato Show : 3,5, Les Nuits de France Culture : 2,7, Les Pieds sur Terre, 2,7.
A côté Binge Audio revendique 2 millions d’écoutes par mois. Mais ce n’est pas la même mesure d’audience. Il y a quand même pour le moment une domination des radios traditionnelles sur le marché des audiences et donc de la publicité dans les podcasts.
Las auditeurs de podcasts ne sont pas seulement plus nombreux, ils sont aussi très ciblés et suscitent les appétits financiers. Selon le Rapport sur L’écosystème de l’audio à la demande il s’agit d’un public plutôt jeune, urbain et de classes aisées. Un public de choix pour les annonceurs.
Les studios de podcasts se financent donc certes par de de la publicité classique en début et fin de podcast, mais aussi ils développent un type de publicité spécifique : du brand content. C’est à dire qu’ils produisent des podcasts pour des marques. Ce qui peut poser des questions éthiques d’indépendance pour les autres productions du studio.
Ils se financent par la publicité aussi. Un certains nombres de studios choisissent Acast, une boite suédoise qui est en gros une grosse régie publicitaire qui vend à des annonceurs des espaces publicitaires dans les podcasts qu’il gère. Ils vendent des spots audio de 30 secondes avant le podcast. Et du sponsoring qui correspond à une publicité dans la voix de l’animateur du podcast pour venter une marque.
Ce qui a fait la différence d’ACAST en 2014, ça a été de proposer de “l’insertion dynamique” des spots directement dans le flux rss et non dans le podcast lui même, ce qui permet de disposer de l’espace pub comme on veut, changer les pubs sur un podcast ancien etc.
Qui fabriquent les podcasts ?
La situation est différente dans les structures. Celle que je connais le plus, mais qui a l’air la plus particulière est celle de Radio France. Je reprends ci-dessous in extenso les descriptions de l’article de l’excellent Blog Les ingénieux du son sur Arte Radio (merci à eux).
La technique :
Essentielle, ce sont ceux que l’on appelle ingénieur du son souvent. A Radio France de manière historique on parle d’opérateurs du son. Il excite différents “postes” comme le note Arte radio :
- Le technicien d’antenne : il gère la prise de son, le mixage et la diffusion à l’antenne lors des émissions en direct.
- Le technicien de reportage : il va sur le terrain, fait les captations et les liaisons in situ.
- Le technicien de production : il gère tout ce qui est fiction, prise de son de concert, magazine, montages et mixages évolués. En fonction de la complexité technique de la production, le nombre de techniciens peut varier. 1 technicien pour la prise de son d’une chanson en “guitare voix”, et jusqu’à 4 ou 5 techniciens pour gérer de grands concerts.
La production :
C’est ceux qui gère la partie éditoriale de l’émission. A Radio France, les producteurs et productrices c’est les chef.fes des émissions et ceux qui la présente. Ils peuvent être secondés par des producteurs délégués qui pour les émissions de plateaux vont proposer les sujets et coordonner l’émission, ou pour les émissions de documentaire faire prendre en charge la production d’un documentaire. Ces postes sont en CDDU, qui permettent d’ouvrir des droits à l’annexe 8 de la convention chômage, c’est-à-dire la partie « technicien » de l’intermittence du spectacle.
La réalisation :
Radio France confie le travail à des “chargés de réalisation” qui sont soit salariés en CDI, soit en CDD de remplacement. Leur travail consiste, en lien avec le technicien et le producteur, à réaliser l’émission. Les tâches du chargé de réalisation varient en fonction de l’émission à laquelle il travaille :
- Si l’émission est en direct, sa mission va consister à préparer le conducteur de l’émission et ses différents éléments sonores : musiques, jingles, habillage, sons d’archives ou petits reportages PAD (Prêts À Diffuser) tournés avant l’émission. Et à réaliser l’émission en direct, en lien étroit avec le technicien.
- Si l’émission sur laquelle il travaille est un documentaire, sa mission consiste à accompagner le producteur délégué (celui qui est à l’origine du projet) depuis la phase de tournage jusqu’au mixage. C’est le chargé de réalisation qui effectue techniquement le montage, en accord avec les choix du producteur délégué.
Les journalistes :
Ce sont ceux qui font les journaux de Radio France, les flashs. Ils font parties de la « rédaction », en CDI, après être passés par un concours ouvrant droit à travailler en CDD de remplacement sur le « planning ».
Autre part :
Dans plusieurs radios, le technicien et le réalisateur sont souvent une seule et même personne. Dans plusieurs studios de podcasts, les postes se mélangent encore plus et beaucoup d’indépendant font absolument tout.
Souvent les producteurs sont des journalistes. Ils sont aussi appelés auteurs.rices radiophoniques ou créateurs.rices comme c’était le cas dans le Rapport sur l’écosystème de l’audio à la demande écrit en 2020 et dans un appel à bourse du ministère de la culture ayant eu lieu en septembre dernier.
Les producteurs sont perçus comme les studios de podcast, à la manière du cinéma ceux qui financent le projet plutôt que celui qui le pensent et le fabriquent.
Peut-on gagner sa vie comme auteur radio ?
Et les auteurs dans tout ça qu’est-ce qu’ils touchent ?
Alors, ça va pas fort, la situation est contrastée. Lorsque vous travaillez pour un média radio en tant qu’auteur.rice, vous êtes payées, la plupart du temps en CDDU, qui vous permet d’ouvrir des droits à l’annexe 8 de la convention chômage qui correspond à l’intermittence du spectacle. A France Culture, 1250 euros bruts le documentaire de 58 minutes, 80 heures déclarées soit deux semaines de travail qui corresponde au tournage, au montage et au ixage. La radio prend en charge les coût de production (réalisation, technique, prise de son, prêt de matériel, frais de déplacement dans le cadre du tournage etc.) à partir du premier jour de tournage jusqu’à la fin du mixage. Nous travaillons en équipe avec un.e réalisatrice.teur, un preneur de son et un technicien chargé du mixage. Il est possible de diffuser des archives dont l’INA (et de travailler avec un.e archiviste de l’INA) a les droits et de la musique commerciale. Autant de frais qui ne sont pas toujours pris en charge ailleurs.
L’auteur.rice touchez un an plus tard des droits d’auteurs gérer par une société de gestion de droit : la SCAM. Il faut déclarer son œuvre. Le tarif de Radio France : 20 euros la minute en 2019. RFI, 10 euros, Radio Locales privées 3,8.
Pour les autres studios ou sociétés productrice vous pouvez regarder les exemples sur le site Paye Ta pige qui vous donnent un ordre de grandeur. Mais ce qui prédomine c’est un flou total sur les rémunérations et le mode de rémunération des auteurs.rices. Certaines sociétés payent en facture, d’autres pas du tout, beaucoup imposent des contrats très restrictifs notamment sur les adaptations en livre ou audiovisuelles des podcasts. Une récente enquête de Mediapart a montré que les conditions de rémunération y était très dures.
En ce qui y concerne les droits d’auteur des podcasts, ils ne sont pas vraiment reversés dans le sens ou seul les studios et les chaînes ont signé avec la SCAM, mais pas les diffuseurs à savoir : les plateformes type Apple, Spotify, Deezer etc. Ils ne rémunèrent donc pas les auteurs et autrices alors qu’ils captent une grande partie des revenus publicitaires de la filière et vendent des abonnements grâce aux podcasts dans leur offre.
Et pour les autoproduits ?
Je vous propose d’écouter 4 minutes du Podcast Vulgaire de Marine Bausson, créatrice de Podcast indépendante. Elle a pris un peu de temps en juin 2021 pour expliquer à son public combien elle finançait son podcast.
Mais ça c’est l’économie de son podcast, la créatrice fait aussi des one woman show et complète donc son revenu autrement. De plus certaines périodes sont plus fastes que d’autres pour la publicité comme les mois de novembre et de décembre.
Ma tambouille
De mon côté, mon revenu est constitué d’1/3 de salaire lié à mes projets acceptés, 1/3 de droits d’auteurs liés à la diffusion de mes documentaires ou mon travail d’écriture et 1/3 d’allocation chômage.
J’essaie actuellement de développer un autre système en intégrant des bourses et des résidences me permettant de financer un angle mort de ma pratique et du financement du travail d’auteur.rice radiophonique : la préparation et le repérage. Je ne souhaite pas penser tous mes projets à partir de Paris, mais au contraire aller explorer des territoires dans lesquels je vais pouvoir découvrir des problématiques qu’il me semble important d’explorer. Mais cela demande des finances, pour se loger, pouvoir bouger et puis pour prendre le temps de chercher et d’enquêter avant même de penser à pouvoir tourner.
Ainsi j’ai candidaté à plusieurs bourses existant.es pour les auteurs radio : La Scam et une toute nouvelle du ministère de la culture. En effet, il existe quelques bourses destinées aux auteur.rices sonores. Que vous pouvez trouver sur cette page d’Arte radio. Mais ces aides sont finalement trop peu nombreuses pour l’écosystème actuel, elles représentent tout confondus 200 000 euros. C’est en tout cas ce que conclut le Rapport de 2020 sur L’écosystème de l’audio à la demande. Il proposait ainsi la création d’une aide aux auteur.rices de podcast et de création radiophonique. L’appel a eu lieu en septembre par le ministère de la culture. 500 000 euros étaient mis sur la table, et proposaient des financements entre 3000 et 5000 euros. Selon le ministère, il y a eu 1300 candidatures. Les résultats ne sont pas encore connus.
Par ailleurs, après une expérience très fructueuse entre 2015 et 2017 dans les quartiers populaires de l’agglomération dunkerquoise, j’ai aussi mis en place une résidence d’éducation au médias dans le Cantal qui va me permettre de financer ma présence sur place et donc de développer des projets sur des sujets autour de la ruralité et de cet espace.
Mais il faut savoir que ce type de projets demandent un grand investissement en temps pour de l’administration. Je passe du temps à gérer pôle emploi, la Scam, l’Urssaf-artiste-auteur, les conventions et collectivités avec les différentes associations avec qui je travaille, mon éditeur, mes employeurs… C’est un travail fastidieux qui demandent de bonnes connaissances en tableur excel, de la diplomatie, de la patience et une capacité à ne pas être effrayer par l’aridité de l’administratif.