Ces articles sont avant tout destinés aux étudiants suivant l’atelier Podcast et écriture sonore du Master Journalisme de l’université de Bourgogne.
Comment chercher un sujet ?
Dans la vie de tous les jours
Dans votre histoire personnelle : « Nos intimités sont politiques » mais cela ne veut pas qu’il faut tout dire à n’importe qui. Qu’est-ce qui est politique dans mon histoire personnelle ? Qu’est-ce qui est politique dans mon histoire familiale ? Dans ce qui m’entoure ? Comment ne pas se mettre en danger aussi (donner des renseignements trop précis sur soi, son adresse etc. Se protéger)
Se créer une ou mieux des spécialités, des sujets sur lesquels vous avez déjà de bonnes connaissances du fait de vos études et au delà de votre parcours personnel. Rien ne vous empêchera de faire évoluer ces thématiques plus tard, mais ça vous permet de ne pas partir de zéro. Essayez de choisir des sujets qui vous plaisent, c’est moins dur à faire ensuite.
Une veille : Chacun sa veille. Bien sûr la PQR, le presse d’info nationale, la presse sportive, mais aussi les réunions d’associations, les BD, les livres, les archives et les programmes d’éditions. Et puis surtout parler avec les gens autour de vous, s’étonner, poser des questions.
Qu’est-ce qu’un bon sujet ?
Il n’y a que des bons sujets. Mais il y a peu de bons angles.
Pour trouver un angle : selon moi, il faut se demande d’où je parle et prendre en compte le médias pour lequel je le destine ou au moins avoir une idée du public. Par exemple :
Sur la surveillance numérique : le sujet est complexe. D’où je parle, de la place d’une personne intéressée par le numérique, pas technophobe, mais citoyen inquiet et journaliste paniqué par la surveillance numérique. Je parle à un public éduqué, utilisateurs d’outils informatiques avec peu de connaissance de comment cela fonctionne et pas forcément fans de numériques. Je dois donc faire comprendre et intéresser ce public. Donc enquête à la première personne, curieux et naïf.
Déterminer d’où je parle ?
Le je dans la non-fiction est un débat complexe. Des journalistes-auteurs comme Joseph Kessel et Albert Londres écrivaient à la première personne. De même la journaliste du XIXe siècle Séverine écrit à la première personne, même si son travail est à cheval entre le journalisme et le travail d’édito.
Mais ensuite, une disjonction s’est faite en France (mais parfois de manière plus claire encore en Allemagne) entre le journalisme qui rapporte des faits et le journalisme d’opinion, le journalisme politique.
Dans cet article Arnaud Mercier décrit de manière claire l’impossibilité d’atteindre la neutralité pour tout être humain. Notre perspective ne peut qu’être subjective. Et un texte neutre est très difficile à faire lire.
Vous pouvez aussi lire cet article de Clément Baudet sur Syntone racontant les différences entre le story telling à l’américaine et la narration radiophonique en France.
Il note que la mise en scène est présente dans la narration américaine pour renforcer le récit, en ménageant du suspens, des cliffhanger, met en avant des anecdotes, le narrateur soulève des questions en permanence en apportant ses propres réponse. On alterne les deux pour renforcer l’attention de l’auditeur.
En France on y voit plutôt une fictionnalisation du réel qui est vu de manière péjorative. Comme le dit Clément Baudet : « le montage est aussi une réécriture du réel, réalisée en studio, a posteriori. »
J’aurai tendance à dire qu’aujourd’hui une place beaucoup plus grande est laissé au story telling. Que la première personne s’impose dans de nombreux formats documentaires. LSD notamment y est sensible.
Personnellement, je défends un journalisme à la première personne. Pour différente raison. Tout d’abord car je me positionne dans une culture scientifique qui ne perçoit les vérités que comme situées. Mon point de vue n’est pas légitime pour prévaloir sur d’autres. Je dois donc être transparent sur mon positionnement, ma situation. Si quelqu’un d’autres que moi va quelque part, du fait de notre expérience et de ce que l’on renvoie comme image, on aura pas le même résultat à la fin, mais ça ne veut pas dire que les deux ne sont pas vraies. C’est ce que je disais dans l’introduction de mon livre Cheville Ouvrière et dans une tribune à Libé en octobre 2020.
Je m’autocite : « Je suis un homme perçu comme blanc, hétéro, de classe moyenne, français. Si je me cache derrière un “on”, un “nous”, une objectivité de façade, mon point de vue apparaîtrait comme “neutre”, “universel”, valant pour tous. Mais ce n’est pas vrai. Ce point de vue n’est que le mien, il doit être pris pour tel. Ce n’est qu’ainsi qu’il n’apparaît pas comme central, qu’il laisse la place à d’autres points de vue, qu’il peut être critiqué comme un point de vue individuel. C’est une perspective parmi d’autres. Et parce qu’il veut parler à tou.te.s sans prendre toute la place, mon travail a une portée universelle, réelle. Elle tisse avec d’autres, une représentation universelle de la réalité. Et pour ça il faut diversifier les profils des journalistes. »
Mais tous les sujets ne sont pas adaptés au Je. Par exemple la question biographique est complexe. Autant Titou Lecoq s’en tire très bien dans son livre sur Honoré de Balzac, autant moi je n’ai pas eu le courage de dire je en parlant d’Edouard Glissant. Mon point de vue de Paris aurait pu être intéressant mais m’amener à parler de moi et pas de lui. Ce n’est pas le même documentaire. Il faut savoir aussi se mettre en retrait. Florence Aubenas est ainsi très discrète, ce qui s’explique aussi car sa notoriété pourrait recouvrir tout à fait ses sujets. Mon premier documentaire n’avait même pas de voix-off.
Penser la série
Comment penser son découpage ?
C’est le premier truc que demandent les émissions de série. Le Découpage.
J’ai envie de répondre : tout dépend du sujet.
Soit c’est une histoire qui se poursuit d’épisode en épisode, et ceux sont des étapes d’une enquête ou d’une réflexion.
Soit ce sont des thématiques qui permettent de répondre de manière différentes à une même question.
Soit c’est un dispositif sonore, un lieu, un temps différent à chaque épisode.
Le découpage en épisode crée le rythme, c’est ce qui fait avancer l’histoire, cela induit aussi le mode de narration de chaque épisode.
Vendre son sujet
Soit en réunion de rédaction : Il faut avoir quelques billes, un peu de connaissance de la problématique, un angle assez fort, et savoir dans quelle case le proposer. Tout dépend des rédac’chef.
Soit indépendant (ce que je connais donc) : on écrit un pitch très très court (3-4 lignes, en dire suffisamment mais pas trop), on cherche la personne qui gère l’émission, on lui envoie un mail en lui disant qu’on veut bosser pour l’émissions, qu’on a deux ou trois idées de sujets. Est-ce que ça peut les intéresser ? Est-ce qu’il y a un format à respecter pour la proposition de sujets ?
Les émission de documentaires audios : LSD – La Série Documentaire, Les Pieds sur Terre, Histoire Particulière, Toute Une Vie, L’expérience, Binge Audio (Programme B), Slate audio (Transfert), Louie Media (Injustices, Fracas), Wave.audio etc.
Pro-tips : vérifier sur internet que le sujet n’a pas été fait. Écouter plusieurs émissions avant de faire la proposition.
Après : on écrit le projet selon la demande. En général, est demandé un résumé du projet, une note d’intention de réalisation ou les dispositifs sonores envisagés, une liste d’intervenants potentiels, les dates impératives d’enregistrement (si événement ou autre) et donc vos disponibilités.
Comment trouver de la documentation ?
Il faut savoir se servir de Google : Par exemple en regardant ce que propose cet article du blog du modérateur
Protips : faites-vous un compte gmail juste pour vos recherches pro. Effacer vos cookies en fermant le navigateur.
Il faut aussi savoir chercher sur les réseaux sociaux, en particulier Twitter : vous trouverez ici quelques pistes pour chercher efficacement dans le moteur du réseau social
Il faut aller dans les sites des médias spécialisées en relation avec le sujet. Faire une recherche google sur le site.
Les bibliothèques municipales, universitaires, spécialisées (INHA, DHIP…)
Les archives ne sont pas à négliger, notamment les archives départementales, les archives spécialisées etc.
Ne pas négliger de lire des livres ! En particulier les derniers sorties. Apprendre à lire vite, pas tout le livre, ce qui vous intéresse, comprenez vite la thèse de la personne, son originalité. Comprendre les débats dans le champ. Demandez aux attaché.es de presse des maisons d’édition qui vous intéressent de vous ajouter dans leur liste d’envoi des programmes.
Comment trouver un.e intervenant.e ?
Un.e expert.e :
Il existe pour cela différents sites intéressants, même s’il n’y a pas de formule magique. Le métier aide à avoir une longue liste d’expert.es, mais il ne faut pas se reposer sur ses lauriers, le documentaire a aussi un rôle d révélateur de personnes peu interviewées.
Les tribunes des journaux
Dans les émissions un peu pointue : France Culture, France Inter…
Sur le terrain :
Il faut y aller. Le mieux avec un point d’entrée : association, café, mairie, journaux locaux, médecins… attention : le contact est important, être gentil.le, expliquer son projet, sa démarche, rassurer. Soyez curieux.ses, poli.es…
Attention aussi aux biais : si c’est le maire qui vous donne des contacts, forcément ce sera partisan. De même pour les partis politiques, les associations etc. Mesurer les intérêts de chacun.
Comment choisir ses intervenant.es ?
Des perspectives différentes.
Des genres différents
Des expériences du sujet/de vie différentes.
Attention à l’expertise ! Point trop n’en faut. Car cela crée un décalage entre ce que les témoins disent et ceux qui commentent. J’aime les chercheurs qui sont dedans. Qui appartiennent au terrain. Il faut respecter les expertises des personnes qui expérimentent au quotidien le sujet et la valoriser autant sinon plus que l’expertise universitaire, nécessaire, mais qui est là pour éclairer le sujet, le mettre en contexte, en donner toute la dimension systémique.
Exemples
LSD – À l’ère de la Surveillance numérique
- Esther, consultante en cybersécurité, membre fondatrice de l’association Exodus Privacy,
- Gonzague de la Tournelle, Directeur général de Madverstise,
- Christophe Masutti, philosophe et historien des sciences auteur de Affaires privées. Aux sources du capitalisme de surveillance,
- Guillaume Chaslot, ingénieur, président d’Algotransparency,
- Armand Heslot, chef du service de l’expertise technologique de la CNIL,
- Laurent Frisch, directeur du numérique à Radio France,
Le capitalisme de surveillance
- Fabrice Coquio, Président d’Interxion France ;
- Aude Géry, juriste, spécialiste de la prolifération des armes numériques et de la géopolitique du cyberespace ;
- Antoine Champagne, journaliste, rédacteur en chef du site Reflets.info ;
- Felix Tréguer, sociologue, membre de la Quadrature du Net, auteur de L’utopie déchue, une contre-histoire d’internet (Fayard, 2019) ;
- Bernard Barbier, consultant en cybersécurité, ancien directeur technique de la DGSE
Dans les allées de la safe city
- Christian Belpaire, Directeur Prévention, Sécurité, Tranquillité Publique de la Ville de Roubaix
- William Eldin, PDG de l’entreprise XXII
- Myrtille Picaud, sociologue spécialiste des marchés de safe city en France
- Les militant.e.s de la Quadrature du Net, Eda, Martin Drago, Felix Tréguer et Benoit Piedallu
Échapper à la surveillance
- Meiirbek Salanbek, ingénieur et journaliste réfugié en France
- Judy Tseng, journaliste correspondante à Paris de différents médias Taïwanais
- Jean-Marc Bourguignon, hacker, fondateur de l’ONG Nothing2Hide
- Helen Nissenbaum, professeur de sciences de l’information à l’université de Cornell, co-autrice de Obfuscation, La vie privée, mode d’emploi (C&F éditions, 2019)
- Geoffrey Dorne, designer, auteur de Hacker Citizen
- Maïwaan, designeuse web, militante de l’association Framasoft
- Kelthoum, assistante sociale, militante du collectif Ecran Total
Le documentaire c’est du journalisme
Donc on oublie pas les fondamentaux : la vérification des faits, recouper vos sources, ne pas compter le témoignage comme une vérité définitive, donner un espace au contradictoire etc.