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Création Radio – Mon Père, le son et l’écoute

En novembre 2022, j’ai pu enfin enregistrer un documentaire qui me trottait dans la tête depuis quelques années. Il s’agissait de mettre en relation le travail sonore de mon père en tant que sculpteur (eh oui!), la collection de postes de radio héritée de son propre père et puis mon travail à la radio. Cela a donné lieu à une pièce radiophonique tournée sur le port de Charente-Maritime qu’il habite depuis presque vingt ans, au milieu de ses arcs en bois, de la musique des mats des bateaux dans le vent, de ses dessins sonores et de nos échanges.

Vous pouvez l’écouter sur le site de France Culture. J’ai eu la grande chance de travailler avec la réalisatrice Anabelle Brouard et l’équipe de l’émission L’Expérience. Voici le texte de présentation que j’ai écrit pour l’occasion :

Mon père est sculpteur. Mais pas comme vous le pensez. Il fait de ses sculptures des spectacles. Parfois il les brûle. Parfois il en fait un partenaire de danse. Parfois aussi il en fait un instrument de musique. Enfin, tout cela il faut en parler au passé. Aujourd’hui mon père est à la retraite. Et de ses sculptures éphémères et envahissantes, de ses spectacles sonores et visuels, il reste surtout des photos, ses souvenirs et ce qu’il m’a transmis.

L’art du quotidien

Alors pour garder une trace, je suis allé enregistrer nos conversations. Sur le port de Gironde, où il s’est installé, nous poursuivons notre dialogue père-fils autour de l’art, de la création, du son et de l’écoute. Il faut dire qu’après la séparation de mes parents, nous avons avec mon père reconstruit notre relation grâce à cette discussion autour de son métier et petit-à-petit autour du mien.

Mon père me raconte comment de menuisier il est devenu artiste. Comment le geste et l’écoute du travail manuel a guidé sa création. Comment cela lui a permis d’intervenir devant tout type de public et dans tout type d’espaces, du petit port de Charente au National Theater de Londres, des quartiers populaires de La Rochelle à la cité royale de Huée au Viet Nam, de Cusset à Rodez, de Clermont-Ferrand à Cergy-Pontoise, de Dijon à Orléans, de la Turquie à l’Allemagne…

Ainsi, l’art, pour moi, c’est avant tout le métier de mon père. C’est ce qui lui a fait gagner sa vie et payer mes études. C’est pour cela que j’ai un peu de mal avec le mythe de l’artiste maudit, ou génial, ou inadapté à la vie sociale. Pour moi, être artiste c’est avant tout un métier.

Sculpture Arcs de Denis Tricot
Sculpture Arcs de Denis Tricot – Antoine Tricot

Un sculpteur rêvant de musique

Alors, progressivement, ce port de Gironde devient le lieu d’un spectacle radiophonique. Mon père fait sonner ses sculptures pour le micro. Il improvise avec ses arcs de bois de 3 mètres de long, faisant jaillir la musique des matériaux qui l’entourent, d’une cuve de fuel au rouge élimé ou d’une esplanade toute de bois et de métal face à l’estuaire.

Car au fond, il me semble que derrière ses sculptures monumentales qu’on ne peut pas ne pas voir, mon père a toujours voulu être musicien. De la grande musique classique plein la tête et plein les oreilles, il a donc fait de sa sculpture un instrument de musique. Plaçant dessus des capteurs sonores, avec l’électro-acousticien Éric Cordier, développant des processus de fabrication de musique bruitistes et des dispositifs d’improvisations sonores et visuelles. Tapant, grattant, pinçant, raclant les planches de bois et les câbles qui les tendent. Déconstruisant harmonies et rythmes.

C’est donc dans cet univers sonore que j’ai grandi. Avec le Pierrot Lunaire d’Arnold Schönberg au petit déjeuner, le Quatuor pour la fin des temps de Messiaen pour faire une partie de jeu de société et un peu de musique électro-acoustique pour se changer les idées. Je me suis souvent demandé ce que cela signifiait pour mon père, ce qu’il y trouvait. Comment son oreille captait comme créatif ce qui, pour un grand nombre d’entre nous pourrait paraître du bruit ? Qu’est-ce qui fait musique ? Comment se construit notre oreille d’ailleurs ? Et quelle conséquence ce bain musical et bruitiste a eu pour moi alors que j’ai commencé à travailler à la radio presque par hasard ?

Improvisation musicale par Denis Tricot
Improvisation musicale par Denis Tricot – Antoine Tricot

La radio et l’art

Je suis arrivé à la radio plus par le journalisme que par le son. Pourtant, un jour je me suis aperçu que dans la bibliothèque de mon père, se trouvaient une douzaine de postes de radio de toutes les époques. Mon grand-père les avait tous gardés depuis son premier acheté dans les années 1920 jusqu’à son dernier radiocassette des années 1970. Entre cette collection, le travail sonore de mon père et le mien se crée un lien, l’histoire d’une transmission qui était là sans quelle soit nommée.

Trouver sa propre voie, sa propre création avec un père artiste n’est pas si facile. Parler du métier de mon père et de sa création, c’est aussi me demander comment je pratique mon métier de documentariste radio. Comment intuitivement j’ai repris à mon compte ce que je l’ai vu faire en tant que sculpteur : l’écoute, le spectacle et l’engagement du corps. Mais comment aussi j’ai pris un chemin qui est le mien, celui du récit et de la narration.

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