Un récit radiophonique en deux parties, diffusée le samedi 21 et le samedi 22 novembre 2020 sur France Culture.
4h20, mercredi 18 novembre, rue de la République, Saint-Denis. La police vient de lancer un assaut sur le numéro 48 où se sont réfugiés deux terroristes ayant participé aux attaques du 13 novembre et une complice. Les attaques du Bataclan, de la Belle équipe, du Petit Cambodge, du stade de France sont encore frais dans les mémoires. Et moi, je me réveille hagard, sans comprendre, dans une ambiance sonore de guerre. Un mois plus tôt, j’ai emménagé à Saint-Denis. Et depuis, comme beaucoup de Dionysiens, je porte en moi le traumatisme discret de cet événement.
Épisode 1 : Une matinée de guerre
Au petit matin, le 18 novembre 2015, la police donne l’assaut à l’appartement où se cachent deux terroristes à quelques mètres de chez moi. Je veux comprendre ce qu’il s’est passé dans cette nuit de panique où tout s’est emmêlé.
L’attaque est violente. J’entends des coups de feu d’arme automatique, des explosions qui font trembler mon plancher. Dans la rue, la police hurle de rentrer chez nous. Et ça dure plusieurs heures. Terré chez moi, je scrute internet sans trouver aucune information officielle sur ce qu’il se passe, observant les ombres sur les murs et les sons dans la nuit. Comme une version moderne de cette nouvelle de Maupassant qu’on lit au collège, La peur. Pendant ce temps sur les réseaux sociaux on moque Jawad, ce gros bras marchand de sommeil qui aurait loué l’appartement aux terroristes.
Mais que s’est-il vraiment passé ? Les versions divergent, la police se contredit elle-même. Les différents articles ne collent pas. Quelques mois plus tard Mediapart sort des rapports, notamment un de la police scientifique, gênant pour le RAID. Plus de 1500 cartouches auraient été tirées côté policiers contre 11 côté terroristes. Paniqués, les policiers se seraient eux-mêmes tirés les uns sur les autres. Les planchers de l’immeuble auraient fini par se décrocher aux alentours de 5h du matin à la suite de l’explosion d’une ceinture d’explosifs des terroristes, les tuant par la même occasion. Mais sur quoi alors a tiré la police jusqu’à 7h30 quasiment sans discontinuer ? Qui a tué le chien du RAID Diesel ? Pourquoi la police a tiré sur des habitants main en l’air ?
Avec : Traore Lassina Tagara, ancien habitant du 48 rue de la République, Porte-parole de l’association des habitants du 48 rue de la République ; Zoubir Soahi, ancien habitant du 48 rue de la République ; Jean-Michel Fauvergue, député LREM, en 2015 il était à la tête du Raid ; Matthieu Suc, Journaliste à Mediapart spécialiste du terrorisme
Épisode 2 : Un immeuble toujours à vif
Depuis l’assaut policier du 18 novembre 2015, je passe tous les jours devant la carcasse vide du 48 rue de la République à Saint-Denis. Les boutiques fermées, les cadres de fenêtres béants et noircies par les explosions me font l’effet d’une blessure laissée à vif par la puissance publique.
Devant ce fantôme d’immeuble, tous les jours je me pose cette question : que va-t-il advenir de ce bâtiment ? Loin d’être un squat comme l’on prétendu plusieurs médias, il s’agit d’un immeuble typique du centre-ville de Saint-Denis mêlant appartements rénovés habités par leurs propriétaires et appartement insalubres loués par des marchands de sommeil à des sans-papiers, un syndic aux abonnés absents, des écarts sociaux entre voisins très importants.
Quelle priorité pour la ville a ce bâtiment alors que 40% du centre-ville ancien est composé de logements insalubres ? Quelle priorité pour l’Etat qui refuse systématiquement aux habitants du 48 le statut de victimes du terrorisme ? Heureusement, le Bataclan, la Belle équipe, le Petit
Cambodge ont été réparé et rouverts. Comment ne pas percevoir la lenteur du dossier de la réhabilitation du 48 comme un signe d’abandon de l’Etat pour une des villes les plus pauvres de France ? Est-ce que les JO de 2024 qui se préparent a transformé Saint-Denis vont améliorer la situation et enterré ce sinistre symbole ?
Avec : Traore Lassina Tagara, ancien habitant du 48 rue de la République, Porte-parole de l’association des habitants du 48 rue de la République ; Stéphane Peu, député PCF, en 2015 il était adjoint à la mairie chargé du logement et de l’urbanisme ; Marie Huiban, militante de l’association Droit au logement (DAL) ; Florian Tosoni, avocat de la copropriété du 48 rue de la République et de certains copropriétaires à titre individuel ; Bibata Ouedraogo et Ramata Kafando, propriétaires d’un appartement au 48 rue de la République
Émission : Histoire Particulière
Réalisation : Christine Robert
Prise de son : Marc Garvenes
Mixage : Eric Boisset
Archives INA : Anne Delaveau
Documentation sonore d’actualité : Caroline Chaussé