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Livre – Cheville Ouvrière – Pour faire suite à mon passage dans L’instant M

C’est une immense chance de passer sur France Inter. Entendre la rediffusion de l’émission Boomerang avec Adèle Haenel juste avant d’entrer en studio était assez incroyable. Comment passer après cette parole si forte… Rien que cette juxtaposition oblige l’humilité.

Je voudrais revenir sur quelques points qu’on a abordé avec Dorothée barba dans cette interview de 20 minutes. Le rythme était soutenu et j’avais du mal à mobiliser mes idées assez vite. Et depuis certains points me trottent dans la tête.

Le journalisme situé, trop anglo-saxon pour être français ?

Je défends un journalisme de la banalité et un journalisme situé. Un journalisme à la première personne, narratif. On me fait par-ci par-là le reproche que c’est anglo-saxon pas français. En France on serait objectif et on ne pourrait pas faire autrement. Alors déjà, j’ai du mal avec “l’âme des peuples”, comme s’il y avait une essence française, donnée une fois pour toutes, qui empêche de dire “je”. En soi ce n’est pas grave si mes inspirations sont américaines. Mais ce n’est le cas qu’en partie.

Je m’appuie sur de nombreux auteurs français : Raphaël Meltz dont le magazine

(qui doit aussi beaucoup à Lætitia Bianchi) était un magnifique espace d’expérimentation journalistique et de journalisme narratif.
http://www.le-tigre.net/Pourquoi-pas-Le-Monde,26198.html Je cite aussi “Le Guide de l’enquête de terrain” de Stéphane Beaud et Florence Weber que tous les étudiants en journalisme devraient lire. Je me réfère aussi à Didier Bizeule, en particulier cet article : “Que faire des expériences d’enquête ? Apports et fragilité de l’observation directe

Mais aussi en termes de journalisme français, on a oublié que Joseph Kessel, qui demeure pour moi un modèle essentiel, écrivait à la première personne ! Voici ci-contre son récit sur l’Irlande du Sinn Fein en 1920 :

Se situer : une question réservée au traitement médiatique des quartiers populaires ?

A la question : pourquoi on se situe seulement lorsque l’on parle de quartier populaire ? Je pense que c’est justement parce que trop peu de journalistes viennent de ces quartiers que l’on y souligne plus la question des origines sociales. Le problème n’est pas qu’un.e journaliste soit fil.les de médecins, mais que tous les journalistes soient fil.les de médecin et viennent de la classe moyenne de province ou bourgeoise de Paris (je caricature). Pour être clair : j’ai autant été obligé d’expliquer d’où je venais en travaillant dans le Cantal que dans les quartiers populaires de Saint-Pol-sur-mer. Les Cantalous sont méfiants. Et si je n’étais pas né à Aurillac, je n’aurai pas pu faire cette série documentaire : Médecine rurale dans le Cantal.
D’ailleurs c’est exactement pour ça que les journalistes concernés par un sujet peuvent mieux traiter ce sujet : il est plus facile d’avoir des sources, plus facile de comprendre les enjeux, plus facile d’avoir accès à des histoires complexes. C’est ce que dit Alice Coffin dans son livre :

Presque tout ce que j’ai écrit sur le traitement médiatique des quartiers populaires, j’aurais pu l’écrire sur le traitement médiatique des zones rurales ou des pays africains.

La question est une question de centre et de périphérie. On perçoit Paris, et les métropoles à la rigueur, comme le centre. Les discours qui s’y tiennent semble valoir pour tou.tes alors que les histoires de celles et ceux qui proviennent des périphéries sont vu.es comme n’intéressant pas le plus grand nombre, comme marginales, voire comme “communautaristes”. On fait le même reproche aux femmes, aux LGBTQI+ et aux personnes racisées d’ailleurs. Leurs histoires n’intéresseraient qu’elles.eux-mêmes. Moi (et bien d’autres), je veux faire exploser cette centralité prétendument universelle.

C’est aussi pour ça que je dis “je”. Je suis un homme perçu comme blanc, hétéro, de classe moyenne, français. Si je me cache derrière un “on”, un “nous”, une objectivité de façade, mon point de vue apparaîtrait comme “neutre”, “universel”, valant pour tou.tes. Mais ce n’est pas vrai. Ce point de vue n’est que le mien, il doit être pris pour tel. Ce n’est qu’ainsi qu’il n’apparaît pas comme central, qu’il laisse la place à d’autres points de vue, qu’il peut être critiqué comme un point de vue individuel. C’est une perspective parmi d’autres. Et parce qu’il veut parler à tou.tes sans prendre toute la place, mon travail a une portée universelle, réelle. Elle tisse avec d’autres, une représentation plus fine de la réalité. Et pour cela il faut diversifier les profils des journalistes.

Il n’est pas question d’interdire un sujet à quiconque. On peut être fils de médecin et parler des quartiers populaires (la preuve). Mais si ce sont toujours les mêmes qui parlent d’un sujet, c’est un problème. D’autant plus si les premiers concernés n’ont pas voix au chapitre…

2 réponses sur « Livre – Cheville Ouvrière – Pour faire suite à mon passage dans L’instant M »

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