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Reportages Radio – Chicago, ville fragmentée

Une série de quatre reportages réalisés à l’automne 2017 pour l’émission spéciale de France Culture, Du Grain à Moudre – « Chicago : l’Amérique à pile ou face ? ».

En novembre 2017, France Culture a délocalisé plusieurs émissions à Chicago. Un an après l’élection de Trump, il était question de faire une radiographie des États-Unis et de ses transformations sociales. Quoi de mieux que la troisième ville du pays, Chicago, pour faire cet état des lieux ? La ville est marquée à la fois par la désindustrialisation de la Rust Belt, l’ancien cœur industriel du pays, et un dynamisme économique certain, fait de start up et d’envie d’entreprendre. Elle a vécu de nombreux affrontements raciaux et la ségrégation spatiale demeure toujours bien visible. Chicago est aussi le berceau de la naissance conjointe de la sociologie et du journalisme social.

Producteur délégué de l’émission Du Grain à Moudre, j’ai passé 4 jours sur place pour préparer une émission d’1h40 présentée par Hervé Gardette réécoutable en entier sur le site de France Culture et produire 4 séquences de reportages dont je republie quelques extraits sonores en anglais ci-dessous.

« Il n’y a pas une mais deux Chicago : deux villes qui la plupart du temps s’ignorent. La frontière est d’abord géographique : on ne s’aventure pas dans les quartiers ghettos de l’ouest et du sud quand on vient du centre ; on n’est pas le bienvenu dans le centre quand on vient du sud. La ‘’windy city’’ comme on l’appelle (rapport au vent qui y souffle souvent très fort) est considérée comme la ville la plus ségréguée du pays. Ségrégation raciale…et sociale. Mais les gratte-ciel (innombrables : c’est ici qu’ils ont été inventés après le grand incendie de 1871) sont là pour vous rappeler qu’on peut aussi s’y élever très haut. (…) C’est donc de cette ville double, et de cette double Amérique, côté pile, et côté face, dont nous allons parler»

Hervé Gardette, Du Grain à Moudre, France Culture, 6 novembre 2017.

Welcome to Englewood

Chicago est connue comme la ville la plus dangereuse des Etats-Unis. Et aux Etats-Unis, un quartier en particulier attise toutes les craintes et les fantasmes. Il s’agit d’Englewood. Si le quartier a été, il y a un siècle, un des plus commerçants de la ville, il a perdu bon nombre d’habitants depuis. C’est aujourd’hui l’un des plus pauvres arrondissements de Chicago et il est habité à plus de 95 % par des afro-américains. Mais de nombreux habitants se battent pour sortir le quartier de son image violente qui lui colle à la peau. C’est le cas de Rashanah Baldwin, journaliste indépendante, qui cherche depuis plusieurs années à transformer cette image. Elle y consacre une émission hebdomadaire sur la radio locale et a lancé le hashtag #GoodIEnglewood pour mettre en valeur les initiatives positives. L’année dernière, elle a été élue Ms. American Elegance Woman. Elle a ainsi profité d’une campagne nationale, lui permettant de médiatiser cet engagement vis-à-vis des quartiers populaires. Elle nous fait visiter le quartier, un dimanche midi, juste avant de filer à un mariage.

La tragédie du quartier selon Rashanah Baldwin n’est pas tant la violence que l’absence de services de première nécessité. Le lycée du quartier est menacé de fermeture pour être mutualisée avec d’autres quartiers. Ce qui va obliger les enfants à traverser tous les jours des quartiers dangereux.

Mais il ne suffit pas de pointer du doigt les problèmes, il faut aussi se demander comment l’on peut faire changer les choses. Dans cette ville qui a vu naître le mouvement du Community Organizing, l’engagement politique se pense selon Rashanah Baldwin d’abord au niveau ultra-local en faisant par exemple vivre sur internet et les réseaux sociaux une autre image de la communauté dans laquelle on vit mais aussi en développant un certain sentiment de responsabilité autant des élus que des habitants.


La boxe ou la vie ?

Un autre quartier est aussi stigmatisé à Chicago. Au point que le chauffeur taxi qui m’y a conduit m’a déconseillé durant tout le voyage d’y mettre les pieds. De manière assez agressive je dois dire. On l’appelle “Little Village” ou “South Lawndale” et il est situé à l’ouest de Chicago. C’est un quartier populaire où se concentre en majorité des habitants originaires d’Amérique du sud. Sur les traces du sociologue Loïc Wacquant qui a passé à la fin des années 1980 trois ans dans un club de boxe à Chicago, j’ai posé mon micro quelques heures au Chicago Youth Boxing Club créé en 2006. Ce club est connu pour son travail social en faveur des jeunes du quartier, garçons et filles. Dissimulé dans le sous-sol d’une église de quartier, La Villita, le club est financé depuis quelques années par la paroisse, qui l’a renfloué à un moment critique de son histoire. Il est depuis géré en grande partie par des membres influents de cette petite communauté religieuse.

Charles Sergeant a été nommé directeur du Club le 15 juin 2017, un ancien militaire, aux épaules extra larges et au regard jovial. Pour Charles, la boxe est le véhicule idéal pour donner aux jeunes un encadrement que leurs parents ne peuvent pas apporter, pour tenir les jeunes éloignés de la rue, les garder concentrés sur quelque chose et leur donner des objectifs clairs qui les valorisent. Mais le club tient aussi à s’ouvrir aux jeunes femmes en leur offrant un espace protégé et accueillant sans préjugé sur leur genre.

Le meilleur exemple des théories de Charles, c’est Omar, 16 ans. Il habite dans ce quartier qu’il adore depuis toujours. Mais parfois la violence lui donne parfois envie d’en partir. Il s’entraîne au Chicago Youth Boxing Club plusieurs fois par semaine, pendant plusieurs heures. Il vaut mieux ça que traîner dans la rue où l’on n’est pas à l’abris d’une balle perdue. Son objectif est de devenir un boxeur professionnel, mais il continue ses études pour avoir un plan B, au cas où…


En haut des buildings

De l’autre côté de l’échelle, il y a les habitants des buildings de Downtown dont la vue sur le lac Michigan est époustouflante. Tout comme le prix du mètre carré. Pour me rendre chez Ravin Gandhi, jeune chef d’entreprise de 45 ans, je dois prendre trois ascenseurs différents, passer devant un centre commercial installé au 40e étage du building, une salle de sport à peine plus bas, avant d’arriver au 64e étage dans un appartement entièrement vitré qui donne sur la skyline et le ciel nuageux. Ravin Gandhi est né à Chicago et il se revendique comme particulièrement patriotique comme en témoigne le grand drapeau américain qui trône dans son bureau.

Ancien républicain, il n’a pas soutenu Trump durant la campagne présidentielle. Il a subi un flot d’insultes racistes quand il a osé critiquer les orientations du président au printemps.

Comme beaucoup de jeunes entrepreneurs, il a rejoint il y a quatre ans le Young président Organization (ou YPO), un cercle de jeunes chefs d’entreprises dynamiques qui réclame plus de 20 000 membres dans 123 pays différents. Un club très sélect qui permet de tisser des liens forts entre membres de l’élite économique. Un lieu de pouvoir où se partagent les savoir-faire entre patrons.


To be or not to be un entrepreneur ?

En 1871, Chicago a été détruit par un incendie dévastateur. La résilience de la ville à l’époque est devenue le fer de lance du story telling de la ville et de son dynamisme économique. 1871, c’est donc le nom que c’est donné l’immense incubateur de start up de la ville qui a pris l’exemple de la Station F française pour réactivé une économie engluée dans des décennies de désindustrialisation. Son président Howard Tullman est un serial entrepreneur respecté dans la ville pour avoir accompagné de nombreux jeunes entrepreneurs. Ce soir, il orchestre la grande soirée annuelle de financements et de dons qui permet de récolter des sous pour assurer le fonctionnement de 1871.

Autour de tables aux nappes et de bons plats, on y croise de jeunes hommes et femmes à peine sortis de la fac, des personnalités du monde de la culture et des grands patrons comme celui de Mac Donald. Mais aussi toute une foule de chef d’entreprises perçues comme innovantes et qui tentent de résoudre les tensions de la société américaine. Ainsi Omar Duque, le patron de la chambre de commerce hispanique de l’Illinois, nous explique comment, en partenariat avec 1871, il propose depuis l’an passé un incubateur destiné spécifiquement aux start-up latinos. Car pour lui il est nécessaire que tout le monde puisse participer à l’élan économique en créant son entreprise et en obtenant des fonds pour le faire.

De son côté, Eileen Murphy, professeur pendant plus de quinze ans dans une des meilleures écoles de Chicago, chercher à créer les moyens technologiques rendant accessibles à toutes les écoles les enseignements réservés aux écoles d’élite. Son entreprise ThinkCERCA développe maintenant des solutions technologiques pour apprendre la lecture critique et l’écriture argumentatives aux élèves américains et chinois. Après 5 ans d’existence, son entreprise fera ses premiers profits en 2018. Elle nous raconte ce qu’a représenté pour elle le fait de se lancer dans une entreprise.

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